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Video Music Awards 1990: Vogue, une performance étourdissante de la culture ballroom

Le 6 septembre 1990, Madonna a fait sensation en interprétant son tube “Vogue” lors de la cérémonie des Video Music Awards (VMA) organisée par MTV. Vêtue d’une robe à la française inspirée de Marie-Antoinette, accompagnée de danseurs en costumes d’époque, Madonna a livré une performance mémorable qui a marqué l’histoire de la musique et de la télévision. Au-delà du spectacle, cette performance était aussi une expression de la culture ballroom, une sous-culture LGBTQ+ afro-américaine et latino-américaine qui a émergé à New York dans les années 1980. En effet, Madonna a utilisé le voguing, une danse qui consiste à imiter les poses des mannequins des magazines de mode, et qui était pratiquée par les participants des bals organisés par la communauté ballroom. Ces bals étaient des événements où les membres de la communauté, souvent rejetés par la société, pouvaient exprimer leur identité de genre, leur sexualité et leur créativité à travers des compétitions de mode, de danse et de performance.

La culture ballroom: origines et caractéristiques

La culture ballroom trouve ses origines dans les drag balls, des bals masqués où les personnes LGBTQ+ pouvaient se travestir et se divertir, qui existaient aux États-Unis depuis le XIXe siècle. Ces bals étaient souvent organisés par des personnes noires, comme William Dorsey Swann, un ancien esclave qui est considéré comme le premier drag queen américain 1. Cependant, ces bals étaient aussi marqués par le racisme et la ségrégation, et les personnes noires étaient souvent exclues des prix ou jugées injustement. C’est pourquoi, à partir des années 1960, des bals exclusivement réservés aux personnes noires et latines ont commencé à se développer à New York, notamment dans Harlem. Ces bals ont pris le nom de ballroom, et ont donné naissance à une scène artistique et sociale très riche et diversifiée.

La culture ballroom repose sur l’organisation de maisons, ou houses, qui fonctionnent comme des familles alternatives, offrant un soutien et une protection aux personnes LGBTQ+ qui sont souvent rejetées par leurs familles biologiques ou par la société. Les maisons sont dirigées par des “mères” et des “pères”, qui sont des membres expérimentés de la scène ballroom, généralement des drag queens, des hommes gays ou des femmes transgenres, qui encadrent et conseillent leurs “enfants”. Les enfants d’une maison sont les “frères” et les “sœurs” des autres membres. Les maisons portent souvent le nom de marques de luxe, comme LaBeija, Chanel, Balenciaga, ou Garçon, pour affirmer leur élégance et leur prestige. Les maisons participent aux bals, qui sont des événements où elles s’affrontent dans des catégories variées, qui peuvent être liées à la mode, à la danse, à la performance, ou à l’imitation de célébrités. Les participants défilent sur un podium, appelé runway, devant un jury et un public, et sont notés selon des critères comme le style, l’originalité, le réalisme, ou l’attitude. Les gagnants reçoivent des trophées, des prix en argent, ou simplement la reconnaissance et le respect de leurs pairs.

La culture ballroom est aussi une culture de résistance et de contestation, qui permet aux personnes LGBTQ+ de s’affirmer face à l’oppression et à la discrimination. En effet, les participants des bals défient les normes de genre, de sexualité, de race et de classe qui leur sont imposées par la société dominante, et revendiquent leur droit à l’existence et à la dignité. Ils utilisent la mode, la danse, et la performance comme des moyens d’expression et d’émancipation, et créent leur propre esthétique et leur propre langage. Par exemple, le voguing, qui est la danse emblématique de la culture ballroom, est une forme de combat et de défi, où les danseurs s’affrontent en imitant les poses des mannequins des magazines de mode, comme Vogue, mais aussi en incorporant des éléments de danse classique, de breakdance, de taekwondo, ou de gymnastique. Le voguing est aussi une façon de célébrer la beauté et la grâce des personnes LGBTQ+, qui sont souvent invisibilisées ou stigmatisées par les médias et la culture mainstream.

La performance de Madonna au VMA de 1990 : un hommage à la culture ballroom

Madonna a découvert la culture ballroom à la fin des années 1980, lorsqu’elle a assisté à un bal à Harlem, et qu’elle a été impressionnée par le voguing. Elle a alors décidé d’intégrer cette danse dans son univers musical, et a engagé des danseurs issus de la scène ballroom, comme José Gutierez Xtravaganza et Luis Camacho Xtravaganza, pour l’accompagner dans ses clips et ses tournées. En 1990, elle a sorti la chanson “Vogue”, qui est devenue un succès mondial, et qui a popularisé le voguing auprès du grand public. La chanson est un hommage aux acteurs et actrices de l’âge d’or d’Hollywood, que Madonna cite dans le rap, et qui sont considérés comme des icônes par la communauté LGBTQ+. La chanson est aussi un hymne à la liberté et à la joie de vivre, qui invite à danser et à s’épanouir sans se soucier du regard des autres.

La performance de Madonna au VMA de 1990 est la consécration de son interprétation du voguing et de la culture ballroom. Madonna apparaît sur scène dans un décor qui évoque le château de Versailles, entourée de danseurs et de figurants en costumes d’époque. Elle porte la robe que Glenn Close portait dans le film « Les Liaisons Dangereuses », et qui met en valeur sa silhouette et sa poitrine, et qui rappelle les tenues extravagantes de Marie-Antoinette. Elle arbore aussi une perruque blonde bouclée, des bijoux, et un éventail. Sa tenue est à la fois provocante et élégante, et joue sur le contraste entre le classicisme et le modernisme, le masculin et le féminin, le kitsch et le chic. Madonna se présente comme une reine de la pop, mais aussi comme une reine du voguing, qui s’inspire de la culture ballroom pour créer son propre style.

Madonna et ses danseurs exécutent une chorégraphie qui mêle le voguing et la danse baroque, avec des mouvements précis, synchronisés, et sophistiqués. Ils adoptent des poses qui imitent les tableaux et les sculptures de l’époque, mais aussi les couvertures des magazines de mode. Ils utilisent aussi des accessoires, comme des éventails, des chaises, ou des masques, pour accentuer l’effet théâtral et dramatique. La performance est donc une fusion de différentes cultures et de différentes époques, qui crée une œuvre originale et innovante.

La performance de Madonna au VMA de 1990 a eu un impact considérable sur la diffusion et la reconnaissance de la culture ballroom et du voguing. En effet, Madonna a exposé au grand public une culture qui était jusque-là marginale et underground, et qui était méconnue ou ignorée par la plupart des gens. Elle a ainsi contribué à faire connaître et à valoriser l’art et la créativité des personnes LGBTQ+ afro-américaines et latino-américaines, qui étaient souvent invisibilisées ou stigmatisées par les médias et la culture mainstream. Elle a aussi permis à de nombreuses personnes de s’identifier et de s’inspirer de cette culture, et de la pratiquer dans leur vie quotidienne. Par exemple, le voguing est devenu un phénomène mondial, qui a été adopté par des danseurs, des artistes, ou des amateurs de tous horizons. Le voguing a aussi été intégré dans d’autres formes d’expression artistique, comme la musique, le cinéma, ou la mode. Des artistes comme Beyoncé, Lady Gaga, ou Rihanna ont repris le voguing dans leurs clips ou leurs concerts.

La performance de Madonna a été un hommage puissant à la culture ballroom, qui détournait les codes des élites pour se réapproprier le pouvoir et la beauté. Elle a aussi été une célébration de la diversité, de la créativité et de la résistance, à une époque où la communauté LGBTQ+ était frappée par l’épidémie du sida. Madonna a montré qu’elle était une artiste engagée, innovante et visionnaire, capable de mélanger les genres, les époques et les influences. Elle a aussi prouvé qu’elle était la reine du voguing, une danse qui a marqué l’histoire de la pop culture.

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